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Jannik Sinner

La glace et le feu

© Ray Giubilo

Le visage encore (très) juvénile, Jannik Sinner soulève le trophée de vainqueur des Next Gen ATP Finals, le 9 novembre 2019 à Milan, quasiment à domicile.
Sinner, un nom que l’on a vraiment découvert ces derniers mois, l’Italien a connu une ascension formidable, qui l’a conduit à marcher sur les pas de Hyeon Chung et Stefanos Tsitsipas en devenant le troisième vainqueur de ce « Masters des jeunes », alors qu’il était de loin le plus jeune joueur de la compétition.
La première des curiosités chez Jannik Sinner, c’est d’abord son nom. Un nom qui ne rappelle pas vraiment la langue de Dante, le jeune homme vient d’Innichen (ou San Candido en italien), une petite ville du Sud-Tyrol, tout près de l’Autriche, où l’Allemand est encore très utilisé. Avant son ascension tennistique, sport que son père lui a fait découvrir à 7 ans, Jannik Sinner a d’abord évolué à un très bon niveau en ski avant de choisir le tennis à 13 ans.

 

« Ils étaient tous excités de me voir jouer »

C’est sans doute ce que l’on appelle un prodige, un enfant surdoué qui montre de grandes facilités dans un domaine. Jannik Sinner s’est vite révélé comme un « prodige » au tennis, à 13 ans il rejoint Bordighera – près de Vintimille – et Ricardo Piatti, le « sorcier » du tennis italien, celui qui amena Ivan Ljubicic vers les sommets, qui fit progresser Richard Gasquet et qui eut aussi sous sa responsabilité Novak Djokovic, Milos Raonic et plus récemment Borna Coric.

Un moment marquant pour le jeune homme : « Ce n’était pas facile de quitter la maison, mais j’étais heureux. » Loin de sa famille, Jannik Sinner découvre la curiosité que son tennis provoque chez de tels entraîneurs, de quoi lui donner la force nécessaire pour croire en lui : « Je me souviens qu’il y avait beaucoup d’entraîneurs me regardant le premier jour là-bas et ils étaient tous excités de me voir jouer. Ils étaient très sûrs de ce qu’ils faisaient et essayaient toujours de m’aider sur le court, cela m’a rendu plus certain sur ma décision d’aller là-bas. »

Une école du très haut-niveau, Ricardo Piatti prend le temps avec son élève, comme il le déclarait au mois d’août, en pleine ascension de Sinner : « Jannik n’est pas un phénomène, il a encore tellement à apprendre. Avec Jannik, nous menons un projet à long terme. Je ne pensais pas qu’il allait progresser si vite. »

© Ray Giubilo

« Quelque chose a changé à Bergame »

Une saison flamboyante, achevée par un titre aux Next Gen ATP Finals, quasiment à domicile à Milan. Si Jannik Sinner mène un projet à long terme avec Ricardo Piatti, l’année 2019 fut celle d’une rapide ascension vers les sommets pour l’Italien. Une année débutée à la 553e place et terminée – déjà – solidement installé dans le top 100 mondial, au 78e rang. L’année 2019 de Jannik Sinner, c’est un condensé d’une progression d’un joueur vers les sommets du tennis, une entrée réussie chez les « grands », lui qui fut peu en vue sur le circuit junior. Après une demi-finale dans un 25 000$ au Kazakhstan, un titre tonitruant au Challenger de Bergame, à 17 ans, il s’inscrit comme un phénomène de précocité.¹
« Quelque chose a changé à Bergame », déclarait avec le recul le jeune homme sur cette victoire à Bergame, toujours à domicile – mais au niveau inférieur – il enchaîne avec dix victoires de rang dans des tournois 25 000$ de Trente et Santa Margherita di Pula. La machine est lancée.

 

Toutes premières fois

L’accélérateur est en marche, Jannik Sinner fonce vers le top niveau avec une première victoire sur un top 100 au Challenger d’Ostrava – Jiri Vesely, 91e mondial – un premier succès sur le grand circuit à Budapest – contre le local Mate Valkusz – il est invité à disputer le premier Masters 1000 de sa carrière à Rome.

Le jeune homme va se révéler sous les projecteurs, qu’il va vite apprendre à apprécier. Il sauve une balle de match contre Steve Johnson (1-6 6-1 7-5) et s’offre un deuxième tour de gala contre Stefanos Tsitsipas. L’expérience est brève mais riche, Jannik Sinner ne peut rien faire contre le Grec, il s’incline 6-3 6-2 mais a retiré de précieux enseignements de cette rencontre : « En jouant contre Tsitsipas, j’ai essayé de de comprendre son niveau, et de comparer avec le niveau où j’étais. Être sur le court central à Rome fut une sensation vraiment particulière, surtout d’avoir le public en train de vous soutenir. C’était un peu étrange d’avoir autant de personnes autour de moi mais j’ai aimé ça. »

Des débuts sur herbe modestes mais sans démériter, Jannik Sinner sort des qualifications à Bois-le-Duc et échoue de très peu au premier tour des qualifications de Wimbledon contre Alex Bolt, Retour sur le dur aux Etats-Unis, la surface préférée du Tyrolien, et un second titre dans un Challenger, à Lexington, où il fit preuve de force mentale en remportant quatre rencontres en trois sets et prenant sa revanche en finale contre Alex Bolt.

Jannik Sinner débarque à Flushing Meadows dans la peau du joueur que tout le monde attend aux qualifications. Le jeune homme se montre combatif pour décrocher le précieux sésame, surtout au deuxième tour contre Viktor Galovic², il défie Stan Wawrinka sur le Louis Armstrong Stadium pour son premier match dans un tableau final en Grand Chelem. S’il se procure de nombreuses occasions (14 balles de break), il s’incline en quatre manches contre le très expérimenté Suisse, c’est sans doute cela l’éducation au haut-niveau : « J’ai bien joué à l’US Open, c’était la première fois de ma carrière que je me qualifiais pour un tableau final en Grand Chelem. J’ai très bien joué contre Stan Wawrinka. »³

© Ray Giubilo

Adoubé par Novak Djokovic, préservé par Riccardo Piatti

Une saison qui s’est poursuivie de la plus belle des manières, Jannik Sinner s’offre une première demi-finale sur le grand circuit à Anvers, il s’incline à nouveau contre Wawrinka, puis succède à Stefanos Tsitsipas au (jeune) palmarès des Next Gen ATP Finals. Un triomphe pour celui qui était invité dans ce « Masters des jeunes », et deux ans plus jeune que ses rivaux, il expédie Alex de Minaur (alors 18e mondial) en finale, 4-2 4-1 4-2, une victoire qui a impressionné, à commencer par Jannik Sinner en personne : « Je n’ai pas les mots… Il est un joueur incroyable, j’ai seulement essayé de jouer mon jeu et de ne pas faire d’erreur. Je n’en ai pas fait beaucoup aujourd’hui, alors je suis très content de ma performance. »

Le « phénomène » Sinner a conquis la planète tennis, il est déjà invité à Doha, Montpellier, Marseille et Rotterdam pour 2020, il a aussi reçu l’onction de Novak Djokovic après sa victoire à Milan : « Félicitations à lui pour avoir remporté les Next Gen ATP Finals à Milan. C’était une victoire très impressionnante contre de Minaur, finaliste l’année dernière et qui est déjà un joueur expérimenté. Il est certainement la prochaine star que les gens regarderont. J’ai travaillé avec lui plusieurs fois à l’Académie Piatti, Il a toujours été un jeune homme très dévoué, très respectueux, il est entre de bonnes mains car Riccardo est un très bon coach. »

Les mots sont forts, mais ils ne surprennent pas quand on sait que le Serbe a partagé avec Sinner un de ses entraînements dans « son » tournoi de Monte-Carlo, Novak Djokovic a aussi en commun avec l’Italien d’avoir été associé au « gourou » Riccardo Piatti, ce dernier se sert de son expérience avec le « Djoker » pour aider Jannik Sinner et pour lui faire comprendre nécessité d’une extrême la rigueur pour accéder aux sommets, même si Piatti a reconnu dans La Stampa n’avoir jamais travaillé avec un joueur aussi bon que Sinner au même âge : « Cela ne veut pas dire qu’il deviendra le nouveau Djokovic. Je l’ai expliqué à Jannik après sa défaite contre Stan Wawrinka lors de l’US Open. J’ai entraîné Novak Djokovic quand il avait le même âge, il était fort, mais il lui a fallu sept années pour remporter l’US Open. Pour Sinner, les quatre ou cinq prochaines années seront la clé. »

 

Tête froide, tennis flamboyant

Grisé quelque peu par la reconnaissance et le soutien du public lors des Next Gen ATP Finals, Jannik Sinner est revenu « chez lui » terminer sa saison avec un troisième titre en Challenger à Ortisei : « L’année a été longue et je suis heureux d’avoir un peu de temps libre. J’ai hâte de m’entraîner pour la prochaine saison. » Le jeune homme garde son calme et prend son temps, bien entouré, il semble avoir le mental pour devenir un grand champion.

Calme, serein, déterminé, Jannik Sinner manifeste un tempérament plus fougueux dans son tennis. Un jeu qui se distingue par un revers à deux mains somptueux, c’est d’ailleurs son coup préféré, une prise de balle précoce, une capacité à accélérer le jeu à n’importe quel endroit du court et une maîtrise de l’ensemble des coups du tennis. Une technique très pure qui s’illustre par la tension des cordages de l’Italien, qui corde ses raquettes à 28 kilos, ce qui lui offre une grande précision dans ses frappes et un grand contrôle de la balle. Une tension dans le cordage rendue possible par la qualité technique de l’Italien et la grande explosivité de ses frappes.

Une facilité dans le tennis qui rappelle les plus grands joueurs, Riccardo Piatti encense son protégé : « Le tennis n’est pas un travail, c’est un jeu. Jannik me rappelle un homme très fort qui aime jouer au tennis. » Une comparaison avec Roger Federer, puisque c’est de lui qu’il s’agit, qui fait sans doute plaisir à Jannik Sinner, ce dernier a plusieurs fois confié que le Suisse est son idole, avec qui il s’est entraîné à plusieurs reprises.

Mais pour accomplir la grande destinées à laquelle il est promis, Jannik Sinner devra garder le calme dans sa tête et la fougue dans son tennis. Du haut de sa 78e place mondiale, il commence à contempler les tout meilleurs joueurs mondiaux et à les affronter. Déterminé, il semble taillé pour éviter tous les pièges dans lesquels d’autres sont tombés.
« Ce n’est que le début du voyage », déclarait Riccardo Piatti au mois d’août, qui n’hésite pourtant pas à comparer son élève avec Roger Federer. Phénomène de précocité, Jannik Sinner reste concentré sur son glorieux dessein, Ne lui dîtes pas qu’à quelques jours près, il est entré dans le top 100 mondial au même âge que sa glorieuse idole…

¹ Parmi les joueurs ces dernière années à avoir remporté un Challenger à 17 ans seulement, on retrouve Felix Auger-Aliassime, Denis Shapovalov, Alexander Zverev, Borna Coric et Nick Kyrgios.
² Après avoir concédé le premier set 6 jeux à 4, il remporte finalement les deux dernières manches 7-6 (2) 7-5
³ Stan Wawrinka s’impose 6-3 7-6 (4) 4-6 6-3 en 2 heures et 49 minutes de jeu
Propos tenus lors d’un entretien avec l’ATP